Le regard de Bloum Cardenas sur Niki de Saint Phalle
Publié le 1 Avril 1990
Entretien avec Bloum Cardenas, artiste et petite-fille de Niki de Saint Phalle (Niki Charitable Art Foundation,) par Patrick Absalon, docteur en histoire de l’art, Paris
Comment est née la Niki Charitable Art Foundation et quel est son rôle ?
La fondation a été créée par ma grand-mère. Elle est basée à côté de Santee, là où elle a vécu ses der- nières années. Elle en a écrit les statuts. Aux États-Unis, les fondations
d’artistes permettent de pré- server les collections et de garantir une bonne gestion des droits sur le patrimoine laissé par l’artiste. La Niki Charitable Art Foundation gère également les
dépôts des œuvres de Niki à travers le monde, les expositions qui lui sont consacrées en prêtant des œuvres comme cela est le cas pour l’exposition présentée au château de Malbrouck à
Manderen, site du Conseil général de la Moselle. Elle adminis- tre aussi les fonds et la collection localisés aux États-Unis. Ce sont des centaines de sculptures, de peintures, des milliers
d’œuvres d’art graphique sans oublier les archives, etc. On y trouve aussi des œuvres d’autres artistes, offertes par les artistes eux-mêmes à Jean Tinguely et Niki. Ils aimaient en- courager
les jeunes talents. Ils étaient des mécènes convaincus et ont acheté de nombreuses œuvres. Ma grand-mère a aussi fait des donations importantes d’œuvres, comme à Hanovre ou à Nice. Je me
souviens d’avoir fait visiter les réserves à Santee à Ulrich Krempel, directeur du musée de Hanovre : il était fasciné par ce qu’il voyait. Il aurait voulu tout emporter si cela avait été
possible !
Quel genre de femme de culture était votre grand-mère ?
Elle était une grande lectrice, pour commencer. Elle passait énormément de temps à se documenter quand elle travaillait à un projet précis. par exemple, pour les totems, elle a lu tout ce
qui s’est écrit sur les cultures du pacifique. Mais elle lisait aussi beaucoup de romans, en anglais surtout ; des biographies de personnages historiques, de femmes célèbres... Dans sa
jeunesse, elle se régalait à la lecture d’Edgar Allan poe, de Dostoïevski, de Yeats. Elle appréciait la compagnie et les échanges avec les scientifiques. Elle lisait aussi des livres
médicaux et des self help books comme on dit en anglais, c’est-à-dire des ouvrages sur le bien-être et le développement personnel. parmi ses artistes préférés, on trouve évidemment Gaudí
et le Facteur Cheval mais aussi Henri Matisse. Elle aimait également la musique. Son atelier au Jardin des Tarots en était rempli, pour l’essentiel, de la musique classique. Elle estimait
particulièrement les interprétations de Bach par Yo-Yo Ma, la
musique de Satie ou encore le jazz de Miles Davis et la musique d’Astor piazzola.
Quelle femme politique était Niki ?
Elle se trouvait aux États-Unis lors de la se- conde guerre mondiale. Elle a rejoint l’Eu- rope plus tardivement. Elle a donc vécu dans le contexte de la reconstruction sans avoir vraiment
vécu la guerre. Je crois que cela a marqué sa vie. Je pense qu’elle était instinc- tivement une femme politique. Elle se ré- voltait souvent. L’une des périodes les plus difficiles a été
celle où elle a vu nombre de ses amis mourir du sida, dont Ricardo, son ami et assistant, Geoffrey et Jean-Jacques, parmi d’autres. Mais c’était une battante. pour moi, elle était comme saint
Georges face au dragon !
Quel regard portiez-vous sur l’œuvre de votre grand-mère quand vous étiez enfant ?
Il y a quelque chose qui m’a toujours frappé : en général les gens n’aimaient pas les mêmes œuvres que moi. pour ma part, j’ai toujours particulièrement apprécié les Accouchements. Ils
m’ont toujours fascinée. Je les trouve toujours aussi percutants. Une autre chose qui me frappait encore quand j’étais petite et que je ne pouvais qu’observer : c’était son choix des couleurs
et leur proximité. Cela me sem- blait toujours absolument illogique.
Et aujourd’hui ?
Bien sûr mon regard a considérablement changé sur l’œuvre de Niki. Il me semble qu’elle n’est pas du tout perçue comme elle devrait l’être. C’est une artiste à part entière qui mérite que
l’on s’intéresse aux nombreux aspects présents dans son œuvre, l’œuvre de sa vie. Des expositions comme celle pré- sentée au château de Malbrouck, contribuent, j’en suis certaine, à faire
évoluer ce regard et l’intérêt qu’on peut porter sur l’œuvre considérable de Niki.
Bloum, pouvez-vous nous parler de cette série de belles photographies où l’on voit quatre générations de femmes rassemblées : Jacqueline, la mère de
Niki, Niki elle- même, Laura, la fille de Niki et vous-même ?
Cette journée est l’un de mes rares souvenirs avec mon arrière-grand-mère. Je me souviens que, comme Niki, elle avait de très belles mains, très délicates. On peut dire que mon enfance a été com- blée de très belles femmes, très différentes les unes des autres.